Nous voilà partis pour rester sur place, enfermés, chacun.e chez soi, pour une période indéterminée : du jamais vécu, sauf éventuellement de manière virtuelle par le biais du film « Contagion » de Steven Soderbergh ou autres scénarios catastrophes.
Confinement nécessaire, et sans doute suffisant, pour ralentir la propagation du Covid 19 et ses effets morbides sur certain.e.s d’entre nous ; pour tenter d’enrayer volontairement les effets collatéraux de ce virus particulièrement nocif : épuisement des personnels de santé et des professionnels chargés de la satisfaction de nos besoins fondamentaux, conséquences désastreuses pour les entreprises, professions libérales, etc. et pour l’économie mondiale.
Je pense en particulier à ceux et celles qui, en plus ou par effet du confinement, sont affrontés à des épreuves relationnelles les mettant en danger sur le plan physique et psychique : les violences familiales, la maltraitance à l’égard des enfants et des personnes vulnérables sont exacerbées par la proximité physique.
L’impératif « chacun chez soi » érigé en loi, avec son lot de sanctions de plus en plus lourdes sur le plan financier1 au fur et à mesure des infractions, nécessite de repenser son rapport à l’espace, au temps et aux autres. Partager, sur la durée, l’espace vital de l’appartement ou de la maison, avec les membres de sa famille oblige à des aménagements pour que chacune et chacun puisse disposer au cours de la journée d’une « zone de confort » c’est-à-dire à la fois d’un espace personnel et de ne pas être en permanence sous le regard des autres. Cette zone protège du sentiment d’intrusion dans son espace propre et de la crainte de ne plus avoir d’espace de liberté. Lorsque la famille dispose d’un petit espace, il peut être utile d’expliciter cette zone, de la définir de manière à ce que chaque membre puisse, au moins durant un moment de la journée, se sentir autonome, différencié des autres. Il s’agit, par exemple, de se répartir l’usage du balcon en fonction des heures de la journée.
Cette zone de confort protège aussi du sentiment d’intrusion dans son espace intérieur : espace à entretenir et à développer lorsque l’on vit des moments d’épreuves et de craintes. La rêverie, la méditation, la prière, la relaxation les techniques de yoga, etc. nourrissent et entretiennent l’espace intérieur dont chaque humain a besoin pour tenir debout dans ses dimensions horizontale et verticale.
Rester sur place, supporter les frustrations quotidiennes liées au confinement, limiter ses activités physiques et sociales a un coût : celui de devoir utiliser autrement son élan ou son énergie vitale. Si cette énergie nommée aussi « agressivité ou violence naturelle » n’est pas utilisée au service de la vie sociale et relationnelle, au service des apprentissages ou du travail, elle risque d’être transformée en colère, rancœur… Elle peut alors s’exprimer dans le conflit, l’opposition, le désaccord et être tournée contre ses proches, à proximité du soi. De plus, cette proximité fait nécessairement surgir des tensions, des frictions et l’agressivité interne n’attend que ce type d’occasion pour surgir et « se lâcher » sans états d’âme et sans culpabilité.
Prendre conscience que son agressivité ne peut pas, en cette période de confinement, être laissée en libre circulation est une nécessité vitale pour la famille : qu’en faire alors ? Apprendre, créer, réorganiser l’espace privé, instituer des moments de parole où l’on pourra se dire les uns aux autres ce qui ne va pas, prendre soin de soi et de ses proches, rester acteur ou Sujet de sa vie permettent de ne pas subir la situation actuelle, dans laquelle nous maitrisons bien peu de choses.
Le confinement, imposé par les Autorités du pays et érigé en Loi par ordonnances et décrets, doit faire l’objet d’un « travail psychique » pour devenir un choix, basé sur la raison et la volonté de se protéger et de ne pas nuire à autrui. Pour tolérer et accepter le confinement, il faut qu’il ait du sens pour soi. Et ces significations doivent être sans cesse cherchées, trouvées, discutées avec d’autres en particulier avec les enfants et les adolescents. Cette explicitation permettra de respecter les règles du confinement de le faire de manière volontaire ; de choisir de le faire en conscience et de son plein gré ; alors que nos habitudes culturelles ou nos manières d’être et de faire nous conduisent naturellement sur le chemin inverse, celui de la liberté de faire ce que l’on a envie de faire.
Lorsque notre objectif quotidien est d’éviter l’inconfort suscité par les obligations et les contraintes, il n’est pas aisé d’arriver à se plier et à accepter des contraintes volontairement. Il n’est pas aisé de comprendre les torts que l’on peut causer à autrui et à la collectivité en transgressant le confinement : tel ce couple venu passer le week-end dans sa maison de campagne pour fuir Paris, qui fait appel au SAMU parce qu’il est malade et qui ne comprend pas qu’il a sans doute contaminé des personnes sur le trajet et qu’il va infecter, par sa présence, une zone géographique pour le moment préservée.
Il ne suffit pas d’ordonner pour que les citoyens obtempèrent. Il ne suffit pas de les sanctionner pour qu’ils ne réitèrent pas leurs infractions. Il est vraisemblable que les transgressions du confinement concernent une faible partie de la population, mais c’est sur cette infime partie que les Autorités s’appuient pour régir le pays de manière de plus en plus autoritaire : réglementation des sorties, interdiction de se promener sur les plages et dans les jardins publics, augmentation des amendes, couvre-feux, etc.
Les comportements transgressifs de certains de nos concitoyens vont renforcer les attitudes autoritaires de l’Etat, en particulier parce que certains corps de métiers les réclament ; notamment les professionnels de santé, épuisés.
Ces attitudes autoritaires inscrivent dans notre quotidien des injonctions permanentes nécessaires, lues et entendues de multiples fois dans la journée, comme les règles de prévention, les informations sur l’évolution du Covid 19, etc. Ces injonctions et mesures obligatoires et non négociables doivent être, bien évidemment, prises au sérieux et respectées ; mais elles peuvent avoir des effets insidieux, voire pervers, sur notre psychisme : occuper notre esprit de manière permanente, renforcer le sentiment d’insécurité lié aux changements d’habitudes sociales et relationnelles, développer les émotions de peur, d’anxiété, d’angoisse, produire un sentiment de culpabilité excessif…
Ces effets peuvent avoir plusieurs conséquences internes : nous rendre vulnérables à nous-mêmes par envahissement émotionnel et saturation de pensées automatiques nous conduisant à résonner au lieu de raisonner ; nous conduire à nous protéger des angoisses, stress, peurs en cherchant des coupables, en agressant les autres, etc. en faisant circuler des informations fausses ou excessives, etc.
Le long confinement auquel nous sommes soumis et l’incertitude de sa durée, nous placent dans une situation inédite : celle de nous trouver en situation de privation. Nous ne pouvons pas en ce moment satisfaire, de manière adéquate, nos besoins de circulation et de sécurité. Il ne s’agit pas de gérer des frustrations liées à la non satisfaction de certains désirs, mais de supporter d’être privé et pour un long moment du droit de nous déplacer et d’agir librement.
Comment tolérer, supporter ces privations ?
Comment chacun.e s’y prend-il :
Percevoir et se réjouir de ce qui va bien avant de se plaindre de ce qui va mal, sur les plans personnels et collectifs, aide à dédramatiser la situation présente.
Développer et entretenir en soi ses capacités de changement et d’adaptation (actes créatifs, acquisition de nouveaux apprentissages, réorganisation de l’aménagement intérieur de l’appartement ou de la maison, etc.) c’est se risquer à vivre des moments intéressants.
Renouer des relations laissées en attentes par manque de disponibilité et entretenir avec régularité les liens avec des proches, des personnes isolées ou âgées, c’est oser vivre des temps enrichissants sur le plan intérieur et éviter les risques de solitude et d’isolement.
Inventer de nouvelles manières de « faire groupe », de se sentir appartenir à la même humanité, c’est prendre des habitudes relationnelles nouvelles et à distance : rendez-vous à la même heure via l’Internet ou à sa fenêtre pour rendre grâce à la vie, remercier ceux et celles qui risquent leur vie pour nous, etc.
Toutes les actions productrices d’émotions joyeuses sont susceptibles d’atténuer le sentiment de privation que nous pouvons ressentir en ces temps incertains.
Peut-être nous faut-il profiter de ce temps de jachère, d’attente ou de vacuité pour poser et nous poser des questions essentielles sur le sens de la vie en groupe ? Car ce n’est que collectivement et tous ensemble que nous sortirons grandis de cette épreuve inédite : le soutien mutuel et la confiance les un.e.s à l’égard des autres ont besoin de nos soins journaliers.
Edith Tartar Goddet, Psychologue clinicienne, Présidente de l’Association Protestante pour l’Education et l’Enseignement (ap2e)
1 La violation du confinement est de 135 euros, puis de 3700 euros suite à 4 violations dans les 30 jours associée à 6 mois de prison.