C’était courageux, de la part de Nicodème, de faire cela : sortir de chez lui, de nuit, pour aller rencontrer Jésus. S’il sort de nuit, c’est pour que personne ne le voit. C’est aussi peut être parce que c’est de nuit que nos idées se font les plus noires. C’est de nuit que la peur parfois reprend le dessus. C’est là que, seuls, nous nous retrouvons face à nous-mêmes et aux questions de notre existence. Alors je trouve que Nicodème a du courage, parce qu’il se met en route dans cette nuit-là. Il prend le risque de se confronter à la parole de Jésus, et… je crois qu’il n’en revient pas tout à fait le même !
Comme nous tous, à l’issue de ce temps de confinement, nous ne serons plus tout à fait les mêmes. Du moins si, comme Nicodème, nous prenons le risque de faire face à nos questionnements nocturnes, si nous prenons le risque de sortir de nos zones de confort pour penser autrement. Nicodème avait une certaine façon de voir les choses. Il l’annonce d’emblée à Jésus : « toi, tu dois être un envoyé de Dieu, parce que tu fais des choses étonnantes ». C’est logique. Rien n’arrive sans raison. Pourtant, ça doit le tarauder un peu car il ne dort pas. Ce qu’il cherche, peut-être, c’est un regard neuf sur le monde qui l’entoure. Un sens à tout cela. Il a certainement déjà entendu parler de Jésus, et même peut-être a-t-il eu des échos de sa parole. Mais cette nuit-là est différente, c’est une rencontre coeur à coeur.
La réponse de Jésus, comme souvent, est source de malentendu. A croire qu’il fait exprès ! Il commence par dire à Nicodème : « à moins de naître de nouveau, nul ne peut voir le Royaume de Dieu ». Un peu plus loin dans l’entretien, il lui dira : « Il vous faut naître d’en haut ». Il faudrait savoir ! C’est « de nouveau », ou « d’en haut » ?! Moi, je suis comme Nicodème, j’aime les recettes quand elles sont claires. Sauf que Jésus préfère jouer sur les mots, en l’occurrence le même mot en grec dans le texte, pour « de nouveau » ou « d’en haut ». Comprenne qui pourra, et peut-être qu’il est urgent de ne pas comprendre trop vite. Car, l’évangile n’est pas une recette, et comme Nicodème, il nous faut quitter le confort de nos idées pré-conçues pour l’entendre comme neuf.
Finalement, ce récit est comme une parabole. Vous savez, ce petit récit des évangiles qui reprend des images toutes simples et qui vise à nous faire bouger dans nos façons de penser le monde ? Et bien, ici encore, le récit nous prend par la main, fait quelques détours et nous amène à changer de regard. Car l’enjeu ici, comme dans les paraboles, consiste à « voir le Royaume de Dieu ».
Nicodème va rentrer chez lui, et le récit se poursuit sans s’inquiéter de ce qu’il va devenir. Nous-mêmes, nous allons vivre ce temps de confinement, et reprendre un jour le cour normal de nos activités. Pourtant, quelque chose peut changer. Et ce quelque chose, c’est notre regard.
Le Royaume de Dieu que Nicodème est invité à découvrir en naissant de nouveau ou d’en haut, n’est pas une sorte de continent lointain et inexploré pour la conquête duquel il faudrait déployer des moyens considérables. Le Royaume de Dieu, c’est ici et maintenant. Le Royaume de Dieu, nous dit Jésus, est à la portée du regard d’un nouveau-né. La clé de ce Royaume est dans l’amour que Dieu a manifesté pour le monde, en Jésus-Christ. Regardons notre monde, tel qu’il est aimé par Dieu. Regardons-nous les uns les autres, tels que nous sommes aimés par Dieu. Regardons nous nous-mêmes, tellement aimés par Dieu qu’il a tout donné pour que nous ayons la vie.
La vie dont il est question ici n’est pas une vie biologique. Ne faisons pas comme ce cher Nicodème qui tombe dans le panneau en croyant que Jésus lui demande de retourner dans le ventre de sa mère pour naître de nouveau ! La vie dont il est question est une vie en plénitude, c’est à dire une vie pleine de relations, pleine de créativité, pleine de ce qui nous fait dépasser le terre-à-terre pour nous faire grandir et toucher les étoiles.
Naître de nouveau, naître d’en haut, c’est vivre de la parole de grâce : tu es aimé, choisi de Dieu. Pâques, pour nous aujourd’hui, c’est peut-être cela : ce passage vers une vie nouvelle, reliée à celui qui a donnée sa vie pour que nous n’ayons pas à justifier la nôtre, ce changement de regard qui fait de notre quotidien la possibilité du Royaume de Dieu.
Eléonore Lévéillé