Une utopie géo-localisée : j’espère que vous avez trouvé la formule de mon dernier envoi (« Vous avez dit Apocalypse ? ») incompréhensible. Du moins énigmatique. Elle l’est aussi pour moi !
Utopie, du grec ov non et τοπος, le lieu ; l’utopie est un non-lieu.
L’utopie est un lieu sans nom. Un paradis, en quelque sorte. Du moins tel qu’on a pris l’habitude de l’imaginer, à l’image de nos fantasmes de toute jouissance et de toute puissance. Un lieu qui n’en est pas un parce qu’il prétend échapper à toute limite, à toute frontière. Un lieu qui n’en est pas un, sauf à être ce lieu commun d’une humanité qui pour se vouloir éternelle en vient à être oublieuse d’elle-même. Un lieu hors contingence, hors chair : le déni de nous-mêmes.
L’utopie est un non-lieu. Au sens juridique du terme. C’est-à-dire l’abandon, prononcé par l’instance d’instruction, de la poursuite. Le non-lieu dégage de toute responsabilité. L’utopie la plus altruiste est souvent la plus autocentrée : elle nous imagine dans un tout déjà parfait où nous n’aurions plus rien à faire. L’utopie, en appelle à un état de perfection première, où nous serions des objets sur des étagères de bonheur. Non-lieu pour irresponsabilité.
Une utopie géo-localisée : accueil d’un lieu venu d’ailleurs. C’est ainsi que je comprends la « descente » de la Jérusalem céleste1 : l’utopie atterrit. Elle « prend lieu ». Elle s’enracine dans le terreau commun. Elle devient féconde. Car elle ne procède plus ni d’une dissolution dans une nature tout aussi idyllique qu’irréelle, ni d’une auto-construction prétentieuse tout aussi tyrannique que déshumanisante. Elle procède d’une adresse première, d’une altérité qui responsabilise : appel qui suscite et attend une réponse. Vivre sans résignation et sans illusion. Vivre de confiance, même la limite, même la mort. Vivre de confiance.
Didier Fievet
1 Apocalypse, chapitre 21, versets 1 à 4 : 1Ensuite, je vois un ciel nouveau et une terre nouvelle. En effet, le premier ciel et la première terre ont disparu, la mer n’existe plus. 2Et je vois la ville sainte, la Jérusalem nouvelle. Elle descend du ciel, envoyée par Dieu. Elle s’est faite belle comme une jeune mariée qui attend son mari. 3Alors j’entends une voix forte qui vient du siège royal. Elle dit : « Maintenant, la maison de Dieu est au milieu des êtres humains. Il va habiter avec eux. Ils seront ses peuples, Dieu lui-même sera avec eux et il sera leur Dieu. 4Il essuiera toutes les larmes de leurs yeux. La mort n’existera plus, il n’y aura plus ni deuil, ni cris, ni souffrance. Oui, le monde ancien a disparu. »