Parce que nous vivons les uns et les autres une période difficile et angoissante, nous avons besoin de partager les uns avec les autres sur notre cheminement personnel et communautaire vers ces sommets que constituent pour tous les chrétiens la vie, la mort et la résurrection du Christ Jésus. Depuis mon ministère dans le Finistère, de 1980 à 1987, j’ai pris, année après année, le temps de la méditation sinon quotidienne, du moins tous les deux jours, tout au long de cette semaine que nous appelons souvent la Semaine sainte. Je veux en partager avec vous quelques-uns des fruits de cette longue expérience spirituelle.
Le premier fruit est cette conviction première : la vie, la mort et la résurrection du Christ viennent jeter une lumière vive et apaisante sur la tragédie humaine : elles sont pour nous l’occasion de comprendre que Dieu vient en son Christ, partager cette réalité de la vie humaine, tant marquée par de multiples tragédies. L’incompréhension, la jalousie, la haine, la violence ont jalonné fréquemment et à un haut degré la vie de Jésus de Nazareth mais ces différentes attitudes humaines, si elles l’ont profondément marqué, ne l’ont pas pour autant jeté à terre, si ce n’est durant ces nombreux temps vécus dans la prière adressée à son Père.
Le deuxième fruit qui me semble découler de cette dernière affirmation consiste dans ce cheminement spirituel que nous pouvons tous vivre et qui nous fait grandir dans la foi et, de ce fait dans une vie psychique plus solide, à savoir cette conviction née de la foi au Christ : son Père se fait connaître, en Christ, comme Notre Père. Comme Jésus à Gethsémani, nous pouvons connaître des heures d’angoisse durant lesquelles notre vie spirituelle et psychique est bouleversée, en lambeaux ; or voici que la méditation centrée sur le Christ souffrant, y compris par la lecture méditée et priée des textes du livre d’Ésaïe sur le serviteur du Seigneur, (dans ce sens, nous pouvons lire Ésaïe 42, 1 ; 44, 26 ; 50, 10 ; 52, 13 à 53, 12) peut nous faire connaître un cheminement de croissance pour nous faire comprendre que nous ne sommes plus seuls dans la souffrance, qu’elle soit personnelle, communautaire ou sociale, et que la résurrection du Christ qui a pourtant connu la mort sur la croix vient nous attester que la victoire qui lui a été donnée par son Père sur la mort, nous est aussi donnée, du moins en espérance, même si nous n’en éprouvons pas encore aujourd’hui la vérité dans ses conséquences complètes.
Mais c’est surtout le troisième fruit que je veux maintenant partager avec vous dans la confiance mutuelle ; ces méditations répétées durant ces décennies m’ont amené à voir un peu plus clair sur les raisons de la mort de Jésus.
Il y a bien sûr toutes ces raisons proprement humaines qui relèvent des sentiments trop humains qui habitent si souvent le cœur de tant d’êtres humains, dont nous sommes parfois durant nos heures sombres : la jalousie, la haine et la violence sont des sentiments qui habitent si souvent le cœur des humains qu’ils expliquent la condamnation à mort prononcée par la foule de tous ces humains.
Mais il y a surtout les raisons de Dieu son Père, que nous avons tant de mal à mieux comprendre. Ces raisons appartiennent toutes à la volonté du Dieu plein d’amour pour les êtres humains ainsi que pour toute sa création (voir à ce sujet Romains 8, 18 à 39). Une idée doit être exclue de notre esprit : celle qui consisterait à croire que Dieu est un être sadique au point de sacrifier son propre fils. Contre cette affirmation fautive, prenons le temps de prendre toute la mesure de cette proclamation de l’évangile de Jean, située dans le cadre du récit qu’il donne de l’entretien avec Nicodème : « Dieu, en effet, a tant aimé le monde qu’il a donné son Fils, son unique, pour que tout homme qui croit en lui ne périsse pas mais ait la vie éternelle. Car Dieu n’a pas envoyé son File dans le monde pour juger le monde mais pour que le monde soit sauvé par lui. » (Jean 3, 16 et 17). En Christ, Dieu rend manifeste la grandeur de son amour pour les êtres humains, quelles que soient leurs appartenances ethniques : tous peuvent devenir dès aujourd’hui, les bénéficiaires de cette œuvre de libération et de salut vis-à-vis de tout ce qui les défiguraient et les défigurent encore ; nous n’avons pas besoin de chercher très longtemps ces blessures humaines pour prendre la mesure de la portée de cette affirmation dans le quotidien des jours humains !
Dieu rend manifeste en Jésus son œuvre par lequel il réconcilie le monde avec lui-même et par là les êtres humains les uns avec les autres. Voilà pourquoi nous pouvons comprendre l’Évangile de manière assurée, tant au plan psychologique qu’au plan spirituel en croyant, comme le dit l’auteur de l’épître aux Éphésiens, que « le Christ est notre paix : de ce qui était divisé, il a fait une unité. Dans sa chair, il a détruit le mur de séparation : la haine… Il a voulu ainsi, à partir du Juif et du païen, créer en lui un seul homme nouveau, en établissant la paix, et les réconcilier tous les deux en un seul corps, au moyen de la croix : là, il a tué la haine… (Éphésiens 2, 14 à 22). Il appartient à chacune et chacun d’accueillir cette Bonne Nouvelle et d’en vivre tout au long de sa vie, personnelle, communautaire et sociale.
A chacune et chacun, je souhaite une bonne lecture, une bonne méditation et une prière vécue dans la communion avec tous vos frères et sœurs, tout au long de ce temps du 12 au 19 avril.
Bonnes fêtes du Jeudi-Saint, de Vendredi-Saint et de Pâques. Bien fraternellement.
Yves NOYER