Le chapitre 22 du livre de la Genèse raconte qu’Abraham est poussé par ce qu’il croit être Dieu, à sacrifier son fils Isaac. Au moment fatidique, un messager de la part de Dieu retient sa main et lui propose de sacrifier non pas son fils, mais un bélier trouvé dans le fourré, animal-totem de la paternité.
Abraham gravissait la montagne. Inexorablement. Le chemin s’imposait à lui.
Il avait rendez-vous avec lui-même. Il avait rendez-vous avec son fils, Isaac.
Il avait rendez-vous avec celui qu’il appelait « son Dieu ».
Là-haut. Au sommet de la courbe.
Qu’allait-il y trouver ? Rendez-vous crucial, crucifiant : qui des trois allait y laisser sa peau ?
Isaac ? Abraham ? Son Dieu ?
Comme Abraham, comme Isaac, nous sommes tous pris dans plus grand que nous. Dans plus lourd que nous. Et ce que nous appelons Dieu (ou refusons d’appeler tel, mais qui constitue l’horizon ultime de nos existences) est lui aussi pris dans plus grand que lui : ce que nous voudrions qu’il soit.
Et au sommet de la montagne, à l’apogée de la courbe, qui va laisser sa peau ?
Eh bien, nul des trois. Chacun va y laisser une part de lui : ce qu’il fallait perdre pour vivre.
Abraham y laissera son statut patriarcal : son fils ne lui appartient pas.
Isaac y laissera son statut d’enfant-propriété du père : accéder à son propre horizon.
Dieu y laissera son statut de divinité à qui il faut payer la vie du prix de la vie.
Tous les idéaux, tous les biens-suprêmes, tous les sacrés avoués ou non ne peuvent en dire autant ! C’est parce que leur Dieu se découvre amputé du statut patriarcal de toute-puissance qu’Abraham et Isaac vont survivre à l’aventure. « Son Dieu » est autre que ce qu’il croyait. Dans l’écart entre les deux : la vie.
Nous gravissons la montagne. Inexorablement. Le chemin s’impose à nous.
Courbe de statisticiens. Nous avons rendez-vous avec nous-mêmes. Que faudra-t-il perdre de nos idéaux, pour réapprendre à vivre, pour échapper à la tyrannie des idoles ?
Didier Fievet