Partager notre humanité

« Toi, qui mets ta fierté en Dieu, qui connais sa volonté et qui, instruit par la loi, sais discerner ce qui est important, toi qui es persuadé d’être le guide des aveugles, la lumière de ceux qui sont dans les ténèbres, l’éducateur apte à corriger les gens déraisonnables, à instruire les tout-petits, parce que tu as dans la loi l’essence même de la connaissance et de la vérité, toi donc qui instruis les autres, tu ne t’instruis pas toi-même ! »1

Moi ? Un gérant d’estrade2 ?
Derrière un écran, à l’abri de la bonne conscience, barricadé derrière ses certitudes, à quoi s’engage-t-on ? Est-ce encore se risquer à vivre, se risquer à l’autre quand il ne s’agit que d’ajouter au brouhaha des opinions rabâchées ? Quelle angoisse nous pousse donc à chercher ainsi des réponses, même fausses, même éculées pour nous rassurer ? Pour nous donner l’illusion d’avoir quelque prise, imaginaire, sur la situation qui nous menace. Qu’engage-t-on de soi, autre que cette peur sourde ?

Et si c’était justement cela qu’il nous fallait d’abord partager : l’angoisse commune 3? Pas pour sombrer dans une panique communicative, évidemment, mais pour faire place à un peu plus d’humanité. Ne pas se contenter d’une immunité de masse, d’une réaction d’espèce, endocrinienne, mais inclure à la lutte pour la vie sa dimension culturelle, symbolique, poétique. Spirituelle ajouteraient certains ; si ce n’est pas une échappatoire, je veux bien y souscrire.
Nous avons déserté notre vocation d’humains. Nous avons utilisé notre cerveau pour nous donner l’illusion d’une toute-puissance4, jusqu’à mettre en péril notre écosystème et notre existence même. Nous nous sommes réduits à n’être qu’une espèce prédatrice, parmi d’autres. Nous utilisons notre cerveau pour fuir notre humaine condition, plutôt que de l’accueillir. Dans sa belle fragilité. L’éluder conduit à une démesure tueuse. La partager ouvre à une espérance qu’on n’imagine pas. « L’espérance c’est comme une ancre pour notre vie, elle nous affranchit de tous les sacrés pour nous dévoiler un Dieu qui partage cette commune angoisse »5 et nous la rend précieuse, et féconde.

Didier Fievet

1 Lettre aux Romains, 2 : 19-21
2 En Québécois : les gérants d’estrade sont des beaux parleurs, qui brassent du vent. Certains politicien.nes sont ainsi désignés, et critiqués, de beaucoup parler mais de n’obéir en fait qu’aux lobbies. Mais il paraît qu’ils pullulent aussi sur les réseaux sociaux.
3 Luc 22 : 44 , « En proie à l’angoisse, il priait avec plus de ferveur encore, et sa sueur devint comme des gouttes de sang tombant à terre »
4 Nous nous sommes rendus vulnérables à cette pandémie. La ruine de la diversité des espèces (la déforestation augmente la proximité entre virus, animaux vecteurs et humains), la délocalisation de nos industries pour rendre les esclaves invisibles, parce que nous nous sommes livrés aux idoles de l’efficacité, de la consommation, du profit… De la toute-puissance. Même si les uns et les autres ne sont pas touchés de la même façon, selon qu’ils sont pauvres ou riches, nous sommes tous responsables.
5 Libre traduction et interprétation de la lettre aux Hébreux 6:19-20.

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