On le savait. Depuis des années les biologistes avaient sonné l’alerte : un jour allait venir où un virus émergerait et mettrait à mal l’humanité entière1. Mais on n’écoute les savants que lorsqu’ils nous confortent dans l’illusion d’une technique toute puissante. Sinon, on dit qu’ils sont prophètes de malheur. Sourde prétention d’une société-citadelle qui se croit invulnérable. Telle était déjà Ninive, il y a trois mille ans. « Va à Ninive et dis-lui que je la détruirai, si elle ne change pas de perspectives ».
Vous connaissez l’histoire : Jonas refuse la mission. Puis, contre son gré, il finit par s’exécuter. Et l’impensable s’est produit, Ninive a renoncé à sa méchanceté. Prophète de malheur, porteur d’une parole menaçante, il s’est révélé prophète de bonheur. Porte-parole d’une compassion2, transformatrice. Le moteur du changement n’aura pas été pas son imprécation dénonciatrice, mais la grâce qui le précédait.
C’est d’ailleurs insupportable. Jonas a failli en mourir, de devoir renoncer à un dieu justicier. Être du bon côté de la loi (civile ou morale) fait de nous des shérifs à l’étoile rutilante. Et ces jours-ci, délation et civisme zélé se disputent tristement la limite.
De cette petite histoire de Jonas, pour aujourd’hui, je retiendrai deux ou trois choses.
Ninive a été capable de changer : l’histoire n’est pas toujours écrite. Et l’on a vu des nuits de Noël3 faire d’un champ de bataille un festin fraternel.
Les mauvaises nouvelles recouvrent aussi leur lot de perspectives et de lendemains heureux. Quand l’esprit de vengeance veut bien s’effacer derrière la joie de repousser le mur du malheur. Quand nous est donné de nous accepter tous coupables de l’état calamiteux de ce monde, de l’entendre non comme une accusation, mais comme la chance d’un changement. Passager, peut-être. Mais l’éternité n’est-elle pas faite que d’éphémère glané dans les sillons de l’histoire ?
Didier Fievet
1 Voir le lien ://www.lemonde.fr/blog/realitesbiomedicales/2020/02/10/les-chauves-souris-reservoirs-de-coronavirus-emergents-en-chine/
2 « Et tu voudrais que moi, je n’aie pas pitié de Ninive, la grande ville, où il y a plus de cent vingt mille êtres humains qui ignorent ce qui est bon ou mauvais pour eux, ainsi qu’un grand nombre d’animaux ? » C’est le verset final du récit. (Jonas chapitre 4, verset 41)
3 Joyeux Noël, film de Christian Carion, 2005