Il partage cinq pains et deux poissons

Jésus prend les cinq pains et les deux poissons. Il lève les yeux vers le ciel, il dit une prière de bénédiction sur les pains et sur les poissons. Il les partage et les donne aux disciples. Alors les disciples les distribuent à la foule. (Luc 9 :16)

C’est passé dans la culture commune : Jésus aurait multiplié des pains…
Ce n’est pourtant pas ce que je lis ici.
Il partage cinq pains et deux poissons. Et c’est de ce partage de trois fois rien que la foule est rassasiée. C’est notre représentation du monde qui nous conduit à imaginer qu’il a bien fallu une multiplication. Comme si ce qui faisait vivre c’était l’abondance, comme si le partage supposait la surabondance. Économiquement, c’est parfois vrai. Rarement. L’Afrique est assez riche pour satisfaire la faim des africains… sauf que sa production est détournée. Créer de la richesse pour pouvoir la partager paraît une logique incontournable. Sauf que la richesse semble n’être jamais suffisante pour pouvoir être partagée ! Il faut toujours attendre des temps meilleurs (ce n’est jamais le moment d’investir dans l’hôpital, il vaut mieux le rentabiliser, c’est-à-dire lui donner les gants au compte-goutte). Il n’y a que les jours de crise qui révèlent que la richesse est déjà là, confisquée… Je parle là d’un système, pas seulement économique et politique, je parle-là de notre humanité. Sauf qu’il y a plein de gens qui vivent d’être généreux. Y compris parmi les riches.Ce qui montre que ce qui nourrit notre humanité, c’est le partage. C’est l’autre.
J’y lis aussi une métaphore de l’Évangile : une parole de trois fois rien. Le coeur de l’Évangile n’est pas une loi qui plombe l’existence, qui envahit tout l’espace. Un impératif catégorique. C’est au contraire du vent à partager. Jésus offre sa vision de la vie : ce qui fait vivre, ce n’est pas la satiété, mais la faim. Ce qui fait vivre, c’est la faim partagée. Un désir, une incomplétude, une invitation à la rencontre. La plénitude n’est pas repue, elle est vidée, c’est un manque. Dieu n’est pas une sphéricité pleine qui offrirait de son surplus. Il s’offre comme refendu, atteint par la faim des autres (dans les deux sens la faim que les autres éprouvent. Et la faim qu’il a des autres). Nouvelle vision de Dieu, nouvelle vision du monde, nouveaux horizons… Ça s’appelle l’espérance. Pas le souhait que tout demeure de même (québécoiserie qui signifie : « inchangée »), même logique, même système, mêmes erreurs de visées, mêmes horizons aux couleurs de publicités paradisiaques de Tour-opérateurs. L’espérance, c’est un élan vers ce qu’on ne sait pas, vers ce qu’on n’est même pas capables d’imaginer : une faim apaisée par une faim partagée…

Didier Fievet

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