Qu’est-ce qui nous sauvera de la menace virale qui plane sur le monde ?
Les partisans du confinement, prudents jusqu’à en être coincés, ou les adeptes du pouvoir économique, audacieux jusqu’à en être suicidaires ? Et suicidaires, ils le sont quand ils préconisent un retour à l’avant Covid19 : repartir comme en … 2019 est gage de mort.
De façon cynique1, on pourrait dire que le virus fait une job2 secrètement espérée par la Bourse : allonger l’espérance de vie coûte trop cher, les inutiles ne servent à rien3 ! Sauf à en faire un marché, le marché de l’entreposage des vieux. Et il faut alors assurer la rotation du stock4 ! Loi économique et loi naturelle convergent, harmonieusement. Dangereusement ?
Luc (et lui seul) raconte une parabole5 où un propriétaire demande à son jardinier de couper un figuier improductif depuis des années. Le jardinier plaide en faveur de l’arbre stérile : « Laisse-lui encore un an. Je vais prendre soin de lui, et on verra… » On verra, un an encore. Car on le sait bien, productif ou pas, on finit tous par casser sa pipe. Mais tout est dans le « encore » !
Tout est dans le droit d’occuper le sol pour rien. Je ne me lancerai pas dans un plaidoyer pour montrer toute l’importance que « les sages »6 peuvent avoir dans la société. Tout ce qu’ils peuvent donner, produire. Dont une bonne image de nous-mêmes : « nous sommes humains ! Nous les aimons, il n’y a pas que l’argent qui compte. » Quoique… Non, je ne vanterai pas l’utilité des personnes âgées. Je revendiquerai leur droit à vivre, encore !
Encore, c’est une fenêtre ouverte sur et contre. Contre la programmation du rentable, contre le ridicule du devoir paraître, miroir aux liftings, contre le raisonnable hygiénique qui vous transforme en momie vivante. Encore. Fenêtre sur le petit bonheur, soleil qui vous caresse les épaules, gorgée de whisky qui vous fait cap-hornier en fauteuil roulant, peau douce d’être usée. Encore ! Le psaume 42 de Mendelssohn, une sonate de Schubert… Encore ! Fenêtre sur le plaisir qui s’attarde. Encore, fenêtre sur la vie qui sait qu’elle va devoir partir. Qui n’aura valu que de s’être laissée aimer. Pour rien.
Didier Fievet
1 Dois-je préciser que je ne connais pas l’auteur de ce texte !
2 En québécois, job est féminin. Ne l’ayant jamais vu(e) tout(e) nu(e), je n’ai pas d’avis définitif sur la question.
3 Voir Jacques II de Chabannes, seigneur de La Palice.
4 Il faut libérer des places, sauf à augmenter le nombre de places. Or la diminution des effectifs prévue une fois les boomers achevés ferait de cette augmentation un investissement avec trop peu d’avenir !
5 Évangile selon Luc, chapitre 13, versets 6 à 9 :
Et Jésus disait cette parabole : « Un homme avait un figuier planté dans sa vigne. Il vint y chercher des figues, mais n’en trouva pas. Il dit alors au vigneron : “Regarde : depuis trois ans je viens chercher des figues sur ce figuier et je n’en trouve pas. Coupe-le donc. Pourquoi occupe-t-il du terrain inutilement ?” Mais le vigneron lui répondit : “Maître, laisse-le cette année encore ; je creuserai la terre tout autour et j’y mettrai du fumier. Ainsi, il donnera peut-être des figues l’année prochaine ; sinon, tu le feras couper.” »
6 C’est ainsi que le gouvernement québecois propose d’appeler les vieux, « nos aînés » sonnant trop paternaliste.