Devenir enfant de la grâce

Infantiles. Infantiles, les vieux qui dénoncent un « agisme » discriminatoire et les autres qui fustigent les responsables (?) de la paralysie de leurs affaires, infantiles les plaintes et doléances qui de tous bords s’élèvent, imprécations vaines de n’avoir pas de destinataire : « on les brime ! » On, qui ça on ? L’autorité supposée savoir. Caprices de sales gosses qui s’en prennent à leurs parents de les protéger du feu qui brûle. On a tous été cela, quand on en a eu l’âge ! Mais, vous l’avez compris, ça m’insupporte chez des adultes

En de multiples occasions, les évangiles synoptiques prêtent à Jésus des paroles telles que : « Laissez-venir à moi les petits enfants, le royaume des cieux est pour ceux qui sont comme eux »1 Appel à régression ? Sans doute pas. Mais plutôt disqualification des spécialistes religieux et de la prétention à exister par soi-seul. Ouverture à la nécessité d’autrui pour vivre, de vie véritable.
L’évangéliste Jean, lui, rapproche l’idée d’enfance de l’adoption. On ne naît pas enfant de Dieu, il nous est donné d’entrer dans la dynamique de le devenir en se laissant adopter2 par lui. Jean utilise un mot familier3, qui n’est pas en rapport avec un statut légal ou sociologique, mais avec une proximité dans la relation.
On peut ben « avoir les oreilles dans le crin »4 à en devenir « crinqué »5, ça peut « ben nous pogner les nerfs » ou simplement nous faire « faire la baboune »6, il n’y a pas de coupable derrière ce sale petit virus. Personne à qui s’en prendre. Il nous faut juste, en adulte, faire face.
Devenir enfant de la grâce, accueillir une identité neuve qui ne dépend ni de notre histoire (familiale ou personnelle) ni de notre impuissance (à maîtriser la nature), c’est inverser le cours des choses : c’est ben la vie qui « s’en vient », puisque la mort est déjà là. Face à la menace et aux frustrations, demeure cette invitation à devenir cet adulte inouï, inimaginable, impensable7 dont l’identité repose dans une promesse : il te reste la vie, à vivre !

Didier Fievet

1 Marc, 10:13-14 et les parallèles, Matthieu 19:13-14 et Luc 18:16-17.
2 Jean, 1 : 12 « À toutes celles et tous ceux qui ont reçu [la Parole faite chair], il est donné la capacité à devenir enfants de Dieu »
3 Τέκνα, « petits enfants ». Là où les synoptiques utilisent : παιδία. Ces derniers n’avaient pas voix au chapitre, pas de reconnaissance en tant que sujets, faire-valoir des fantasmes de réussite parentale, incapables de discernement puisque sans connaissance suffisante de la loi. Les synoptiques annoncent une nouvelle de reconnaissance et de libération à tous celles et tous ceux qui se sentent disqualifiés. Face à leur famille, face à la société, face à leurs idéaux, face à eux-mêmes ou face à Dieu. Jean a un autre message, tout aussi bon : « vous êtes enfants d’une promesse ».
4 Être sur le point d’exploser.
5 Ne pas décolérer.
6 Avoir une lippe hargneuse.
7 Inouï, parce que jamais encore entendu, inimaginable, parce que jamais encore représenté, impensable, parce que jamais encore catégorisé. Nouveauté ouverte par la « possibilité de la possibilité », c’est ainsi que Kierkegaard comprend Dieu.

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