C’est lourd. C’est dur. C’est blessé. C’est blessant. La vie humaine.
Ça fait mal. Ça sent fort, mauvais parfois. Ça hérisse le poil. Ça tousse, ça s’étrangle et ça s’étouffe en une cachexie finale. Je ne dis pas cela par goût morbide, indécent en ces temps douloureux. Je dis seulement ce que chacun peut expérimenter, chaque jour.
Mais, déjà, j’entends les commentaires : ce n’est pas que ça ! C’est aussi beau, chaud, parfumé, doux, désirable, vibrant. C’est vivant, un corps humain.Et ils ont raison ! On peut peut-être même dire que sa répugnante matérialité n’est que l’autre face de sa matérialité rayonnante. Et nous ne serions humains que d’être les deux. Et entre les deux, dans l’espace virtuel entre les deux faces, au coeur de la chair, ce serait là que naîtrait l’amour. Il n’y a pas d’autre lieu pour aimer l’humain, pour nous aimer, pour nous aimer les uns les autres, que la chair. Dans sa corporalité, « à pogner » comme disent les Québécois. Saisir à pleines mains ce qui est pourtant insaisissable. Il y a toujours une part de l’autre qui échappe. Maintenir l’écart entre ce que j’en saisis et ce qui échappe, cela s’appelle la pudeur. Bienvenue pudeur qui refuse la méprise, qui maintient la distance, ne prétendant pas montrer ce qui est impossible à voir.
Nous allons bientôt fêter Pâques. La plus grande méprise consiste à en faire la fête de la résurrection. Ou plutôt à faire de la résurrection la sortie du périple humain de Jésus. Comme s’il congédiait, sans pudeur, ses oripeaux humains, qui n’auraient jamais été que doublure. Comme s’il n’avait jamais été vivant. Paradoxalement, cette façon de comprendre la résurrection le privant de toute corporéité le prive de toute vie. Il n’y a de vivant que charnel. Vouloir désincarner Dieu, c’est refuser qu’il puisse être blessé d’humanité, juste pour nous ménager un espace imaginaire qui nous épargnerait notre propre humanité. Parler de résurrection, ne serait-ce au contraire dire qu’en Jésus, Dieu s’incarne à tout jamais ? Qu’il porte en lui la blessure tragique, mais aussi la fraternité éblouie de l’humanité. Pour toujours.
Didier Fievet