Il y avait un homme aveugle de naissance. Pourquoi ? De quelle faute devait-il s’accuser, lui-même ou ses ancêtres ? À qui la faute ?
Derrière tout « pourquoi » se cache un » à qui la faute ? ». C’est la faute aux Chinois, aux étrangers, au virus, à la nature, à Dieu… Qui est coupable ? Il faut trouver un coupable, un bouc émissaire. Comme si pouvoir accuser quelqu’un allait nous permettre de nous sentir nous mêmes moins coupables. Parce que, au fond (souvent à notre insu), c’est notre premier réflexe : nous sentir coupable de notre malheur. À l’image des enfants d’un couple qui divorce et qui croient que la mésentente parentale est de leur faute. Quand il nous faut préserver une figure tutélaire, une figure sacrée, on prend le malheur sur soi… C’est exactement le contraire de l’Évangile. C’est pourtant exactement ce que font les Églises, si souvent : accuser les gens pour préserver leur image de Dieu.
Inconsciemment, on vit tous, sous une « valeur supérieure », un système moral personnel, quelque chose face à quoi on se mesure quand on se regarde dans le miroir. On vit sous une figure tutélaire, une transcendance, avouée ou non, qui est vue comme un regard qui juge notre vie. Ce regard accusateur nous aveugle. Si on l’appelle dieu, c’est un dieu qui nous aveugle. L’Évangile, c’est de se voir un autre regard sur notre vie, sur nous-mêmes : il y a un Dieu qui ne nous juge pas ! Jésus nous remet sans doute en question, mais il ne nous juge pas. Il renverse la logique du jugement : c’est quand nous prétendons voir, en désignant un coupable, c’est alors que nous sommes aveugles. Nous sommes aveugles, quand croire consiste à être membre d’une religion, à avoir une étiquette, c’est-à-dire à se laisser accuser par un système de valeurs prêt à- porter. Alors, nous sommes aveuglés : nous nous croyons bien-voyants, plutôt que de nous reconnaître en cet aveugle qui depuis sa naissance marche à tâtons. Or c’est pourtant, lui, cet aveugle à qui va être donné un nouveau regard sur lui-même (et donc sur le monde) : il découvre un regard qui ne le juge pas.
Jésus mélange de la salive et de la terre pour enduire les yeux de cet aveugle. Il pétrit son regard de glaise et de parole, image du geste originel de la création : il le re-crée, il le refonde, il le refonde dans son humanité. Il le refonde dans sa finitude, qui dès lors cesse vécue comme une punition, comme une culpabilité. Il lui donne à voir une humanité qui n’est pas le résultat d’une partie de dés entre les dieux, qui n’est pas vouée à devoir se justifier. Mais qui est juste aimée. Pour ce qu’elle est. Juste appelée à vivre de gratuité, sans avoir rien à prouver.
Didier Fievet
Extraits de l’évangile selon Jean (ch 9)
– versets1 à 3 : »Sur le chemin, Jésus voit un homme qui est aveugle depuis sa naissance. Les disciples de Jésus demandent : « Maître, cet homme est aveugle depuis sa naissance. Donc, qui a péché, lui ou ses parents ? » Jésus répond : « Ni lui ni ses parents. Mais puisqu’il est aveugle, on va reconnaître clairement que Dieu agit pour lui. »
– versets 6&7 : « Après que Jésus a dit cela, il crache par terre. Avec sa salive, il fait de la boue et il met la boue sur les yeux de l’aveugle. Ensuite, il lui dit : « Va te laver dans l’eau, à Siloé. » Le nom « Siloé » veut dire « Envoyé ». L’aveugle y va et il se lave. Quand il revient, il voit clair. »
– versets 39 à 41 : « Alors Jésus dit : Moi, je suis venu dans ce monde pour une remise en question : afin que ceux qui ne voient pas voient, et que ceux qui voient deviennent aveugles. Après avoir entendu cela, quelques pharisiens qui étaient avec lui lui dirent : Nous aussi, nous sommes aveugles ? Jésus leur répondit : Si vous étiez aveugles, vous n’auriez pas de péché. Mais maintenant vous dites : « Nous voyons » ; aussi votre péché demeure.